Anthropomorphisme : une identification risquée

Le vétérinaire de l’abattoir nous rétorqua que nous faisions de l’anthropomorphisme lorsque nous lui dimes[sic] que vu l’état dans lequel elle se trouvait, la vache devait beaucoup souffrir. Il nous a alors rétorqué que si elle souffrait, elle l’aurait déjà dit ! Ma collègue réagit intelligemment en lui faisant remarquer : « Là, c’est vous qui faites de l’anthropomorphisme ! »

(Jean-Luc Daub, Ces bêtes qu’on abat, L’Harmattan, 2009, ISBN 978-2-296-08424-7)

Dans le domaine de la psychologie, l’anthropomorphisme est la « tendance à se représenter toute réalité comme semblable à la réalité humaine «  (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales).

De son côté, le Dictionnaire Le Robert la définit comme la « tendance à attribuer aux animaux et aux choses des réactions humaines » (Dictionnaire Le Robert).

Bien sûr, l’anthropomorphisme ne s’applique pas qu’aux chiens même si ce sont d’eux dont il est question dans cet article. On en fait avec tous types d’animaux (la vache dans la citation ci-dessus), avec des objets (ont-ils une âme ?), avec des phénomènes naturels etc.

Cette tendance est-elle risquée pour le chien ou pour l’humain ? Quelles peuvent en être les conséquences ? C’est ce que nous allons décrypter ci-dessous !

Les formes prises par l’anthropomorphisme animal

Il ne s’agit pas d’une intention délibérée mais plutôt d’une orientation naturelle à l’humain qui est de donner du sens à l’inconnu en lui attribuant des caractéristiques humaines connues.

On peut définir deux catégories relevant de l’anthropomorphisme chien :

  • Les sentiments ou intentions prêtés au chien
  • Les comportements humains adoptés vis-à-vis de l’animal


Les sentiments et les intentions

Tout propriétaire de chien sait quand son animal veut lui faire comprendre quelque chose.

Lorsque Snoopy prend sa laisse en gueule et se dirige vers la porte, le message est clair !

Mais il arrive souvent que l’humain décode le comportement de son chien à travers ses propres perceptions et certitudes.

Deux exemples pour illustrer ces propos :

Si Snoopy s’écrase au sol les oreilles basses et les yeux suppliants lorsque vous rentrez à la maison et que vous découvrez qu’il a éventré la poubelle en votre absence, il y a de fortes chances que vous pensiez que son attitude vient du fait qu’il sait qu’il a fait une bêtise.

Vous prêtez à Snoopy un sentiment de culpabilité et nous voilà en plein anthropomorphisme !

Nous savons que si nous faisons une bêtise (rappelons-nous notre enfance), nous serons mal à l’aise lorsque celle-ci sera sur le point d’être découverte. Et nous pensons naturellement qu’il en est de même pour notre chien !

Sauf que le chien vit le moment présent : il a éventré la poubelle parce qu’il s’ennuyait ou parce qu’une bonne odeur s’en échappait. Puis il est passé à autre chose et quand vous rentrez il ne se souvient pas que la poubelle répandue vous attend dans la cuisine !

Alors pourquoi cet air coupable ?

C’est votre propre comportement qui fait prendre au chien cet air accablé de culpabilité. Il y a de fortes chances que la 1ère fois qu’il a fait une bêtise dans la maison, il a accueilli votre retour avec des manifestations de joie. Et il s’est fait gronder ou punir ! Association vite faite : « quand mon humain rentre, je me fais gronder ». Et votre retour devient maintenant un risque de punition…

chien puni

Cette vidéo montre à quel point le comportement du chien est déterminé par les émotions et les intonations des humains : ce n’est pas l’acte commis par le chien qui le mettra en position de coupable mais c’est la réaction de son propriétaire.

Un autre exemple fréquemment rencontré en matière d’anthropomorphisme est celui du chien qui « se venge ».

Le scénario classique est celui du propriétaire qui découvre son intérieur saccagé après une plus ou moins longue absence ou encore qui s’aperçoit que son animal a fait ses besoins sur la moquette ou pipi sur ses chaussures.

La réaction fréquente est de penser que le chien s’est vengé d’avoir été laissé tout seul. Là encore, on lui prête des intentions humaines. Ainsi, on peut penser que le chien s’est dit quelque chose comme : « ah, tu me laisses ? Eh bien comme je sais que tu aimes beaucoup ce beau fauteuil en cuir, je vais te le mettre en pièces ! Et pour faire bonne mesure, je vais pisser dans tes chaussures ! Ça te donnera une bonne leçon ! »

 En réalité, aucun chien ne peut raisonner de cette façon, ce scénario ne peut être conçu que par l’humain. C’est donc ailleurs qu’il faut chercher les causes du comportement de l’animal. Nous en reparlerons plus tard.

Les deux exemples ci-dessus ne sont qu’un aperçu des différentes formes que peut prendre l’anthropomorphisme visant à prêter au chien des sentiments ou des intentions humaines.

On peut également citer parmi les formes les plus courantes d’anthropomorphisme :

  • Le refus de faire castrer son chien de peur de lui enlever sa virilité : en réalité, une fois castré, le chien n’a plus de désir sexuel et cette opération peut au contraire lui apporter beaucoup de confort. Est-il possible de s’imaginer le niveau de frustration atteint voire la douleur physique ressentie par un chien dévoré par le désir mais contraint de rester en laisse ou dans un espace clos ? La castration est également un atout sécuritaire : c’est un motif de fugue en moins sachant que le chien peut sentir une femelle en chaleur à des kilomètres !
  • La crainte que les comportements de son animal aient pour but de devenir dominant au sein de la « meute » familiale. C’est ainsi que l’on pensera que le chien couché en hauteur cherche à prendre le contrôle de la situation ! Or, il est maintenant prouvé que les théories de hiérarchie entre espèces sont totalement infondées. Elles ne peuvent donc exister entre chiens et humains.
  • Le sentiment que le chien exprime de la jalousie envers une autre personne : son nouveau compagnon, le bébé qui vient de naître… Depuis que ce nouvel humain est à la maison, le comportement du chien est devenu désagréable. On est très vite tenté de mettre cela sur le compte d’une jalousie ressentie face à l’intrus. En réalité, le chien exprime un malaise face à une nouvelle situation qu’il n’a pas appris à gérer.
  • Citons également le chien bien malin qui ne perd pas l’occasion d’attraper au vol une saucisse ou un biscuit qui traîne. Le voilà qualifié de voleur. Là encore, la notion de vol est humaine et consiste à prendre de façon consciente quelque chose qui ne nous appartient pas. Pour le chien, la chose est beaucoup plus simple : si la saucisse est là, c’est qu’elle n’appartient à personne, donc elle est disponible pour lui !


Les comportements humains face au chien

Nous donnons tous un prénom à nos chiens. Rien de plus normal. Si tous les chiens s’appelaient « le chien » vous imaginez la pagaille 😁

Cependant, lorsque le prénom choisi est un prénom humain, nous assimilons (inconsciemment) notre animal à un humain par le biais de son prénom.

Si mon chien s’appelle Médor, quand je l’appelle ou que je parle de lui, il n’y a pas de confusion possible. S’il se nomme Mathis, les choses ne sont plus si claires tant qu’on n’a pas sous les yeux l’individu dont je parle…

Que celui ou celle qui n’a jamais fait preuve d’anthropomorphisme avec son animal de compagnie jette la première pierre. Ce ne sera sûrement pas moi !

Beaucoup de chiens sont traités comme des enfants : ils sont régulièrement lavés, habillés, déguisés. On leur fait des fêtes d’anniversaire ou de Noël, on leur parle constamment, on les appelle mon bébé, ma chérie…

Il y a peu de temps, j’ai croisé une dame qui me racontait qu’elle prévient régulièrement son chien « Attention mon garçon, si tu fais ça, je te donne la fessée ! (sic) »

Dans cette catégorie, on retrouve aussi les petits chiens « ascenseurs » : dès qu’ils s’apprêtent à croiser un congénère ou à traverser une rue, hop ! ils se retrouvent dans les bras de leur propriétaire qui les pense trop fragiles pour affronter de tels obstacles !

Pourtant, si vous observez attentivement, vous constaterez que beaucoup de chiens tentent de se soustraire à la main caressante qui s’approche… C’est donc bien par anthropomorphisme que nous pensons que notre chien aime naturellement les câlins (même si c’est parfois vrai 😉)

On peut aussi citer les contacts physiques. Pour nous, humains, serrer un proche dans nos bras ou l’embrasser sont des marques d’affection. Nous faisons donc de même avec nos chiens persuadés qu’ils comprennent que nous leur manifestons ainsi notre amour.  Mais contrairement à une croyance répandue, eux sont souvent mal à l’aise dans ces démonstrations. Certes, la grande majorité se laisse faire, ils ont appris à nous complaire !

Est-ce bien grave tout cela ?

Non, si de telles pratiques restent dans le domaine du rationnel. Donner un steak à son chien parce c’est son anniversaire, soulever son yorkshire qui est terrorisé par un malinois qui fait le fou à côté de lui, rincer son loulou qui revient plein de boue de sa balade… Tout cela ne prête pas à conséquence et soit revient à faire plaisir (le steak) soit est justifié par les circonstances.

Cependant, il est des actes d’anthropomorphisme qui peuvent entraîner des répercussions préjudiciables au chien s’ils sont poussés à l’excès.

Prenons le cas des vêtements canins : en cas de froidure, il est naturel et bienveillant de couvrir les chiens fragiles avant de sortir se promener. Le raisonnable consiste à lui faire revêtir un manteau adapté à sa taille et de préférence d’une couleur proche de son pelage.

En revanche, le transformer en bête à moumoute avec col de fourrure et bottines rouges devient dangereux : le chien se trouve en position de victime potentielle de ses congénères car il perd totalement sa lisibilité canine. La communication est fragilisée et si le chien d’en face prend peur devant cette espèce d’OVNI, ses réactions peuvent être brutales…

Autre exemple : le propriétaire qui, sous prétexte que lui, n’aimerai pas être enfermé, refuse de clôturer son jardin. Même avec un chien parfaitement éduqué le risque zéro n’existe pas et il peut arriver un évènement qui fera jaillir le chien hors de la propriété. Avec tous les risques d’accident que cela comporte…

L’anthropomorphisme par prêt d’intentions est sans doute plus souvent dommageable. Il conduit à coller une étiquette au chien et la messe est dite.

Ainsi :

  • Mon chien est rancunier parce qu’il se venge quand il est laissé seul ;
  • Mon chien est voleur parce qu’il attrape toute la nourriture sur la table ;
  • Mon chien est fugueur
  • Mon chien est jaloux
  • Mon chien est dominant
  • Etc.

Ces étiquettes nous empêchent de rechercher les causes réelles des comportements :

  • Mon chien détruit tout en mon absence car la solitude l’angoisse
  • Mon chien mange le poulet parce qu’il est à sa portée
  • Mon chien fugue parce qu’il n’a pas assez d’exercices et s’ennuie
  • Mon chien grogne sur le bébé parce qu’il ne comprend pas ces nouvelles odeurs et que le changement d’habitudes de la maison le déconcerte
  • Mon chien dort sur le canapé parce que c’est beaucoup plus confortable
  • Etc.

En ignorant les causes réelles du comportement de l’animal et en lui attribuant des raisons humaines ou des étiquettes, on ne respecte pas la nature du chien.

Il y a alors un danger car on ne cherche pas les solutions adaptées à la cause de ses comportements.

Si je pense que mon chien est jaloux du bébé, je n’irai pas plus loin dans ma réflexion. Je pourrai même me faire un scénario catastrophe « Et si le chien mord le bébé ? » qui m’amènera à prendre des mesures de protection disproportionnée ou de coercition envers le chien.

Si je réfléchis et reconnais que depuis que bébé est là, j’ai moins de temps pour promener et jouer avec Snoopy, j’ai déjà un début de solution. En effet, si le chien ne peut plus avoir sa dose d’activités journalières, si ses besoins primordiaux ne sont plus entièrement satisfaits, il va adopter des comportements de substitution et pourra se mettre à aboyer, à détruire, à uriner dans la maison…

Ce n’est donc pas le bébé en lui-même le problème mais le changement d’environnement du chien et la diminution de sa qualité de vie. De là, des actions peuvent être menées pour rétablir l’équilibre.

Je donnais plus haut, l’exemple du chien qui détruit l’intérieur lors des absences de son humain.

Si le propriétaire pense que son chien s’est « vengé », il aura tendance à le punir, à lui crier dessus et peut-être à l’enfermer dans la salle de bains la fois suivante.

En réalité, le chien se sera conduit de la sorte pour une multitude de raisons possibles mais jamais par esprit de vengeance qui relève d’une construction cognitive trop élaborée pour lui.

Cela peut être une anxiété liée à la solitude, de l’ennui, un manque global d’exercice, une absence beaucoup trop longue, etc.

En ne cherchant pas la cause réelle du comportement, le propriétaire aggrave la situation alors que c’est lui qui a la solution pour que son chien vive mieux ses moments de solitude !

Quand l’anthropomorphisme fait du bien

Un nouveau regard sur l’animal

Il ne s’agit surtout pas de diaboliser cette tendance naturelle que nous avons tous de façon plus ou moins prononcée et qui peut s’avérer très utile.

Au XVIème siècle, Descartes décrivait l’animal comme une machine dénuée de sensibilité et dont les comportements ne sont que des réflexes.

En 2015, L’animal est reconnu comme un « être vivant doué de sensibilité » dans le Code civil.

Entre ces deux périodes, 400 ans de recherches et d’études scientifiques ont fait évoluer le regard de la société humaine sur l’animal.

L'anthropomorphisme a aidé la cause animale

L’anthropomorphisme a été d’une grande utilité dans cette évolution car comment parvenir à prendre en compte le côté sensible de l’animal si nous ne parvenons pas à projeter sur lui une part de nous-mêmes qui sommes par essence, des êtres doués de sensibilité ?

L’anthropomorphisme au service de la thérapie

L’utilisation du chien comme vecteur thérapeutique au service d’enfants en difficulté ou de personnes âgées est maintenant reconnue comme particulièrement efficace pour les aider à (re)nouer un contact avec leurs sentiments et leurs propres compétences.

Pour avoir un aperçu du travail qui peut être réalisé grâce à l’utilisation volontaire de l’anthropomorphisme, je vous propose cet article écrit par une médiatrice animale et relatant son expérience entre sa propre chienne et un enfant en difficulté.

Ceci est aussi vrai pour tout un chacun dans certaines circonstances de vie. En projetant un regard miroir sur l’animal, l’humain y trouve des réponses à son propre mal-être.

Ainsi, la personne isolée qui parle à son chien et lui dit « heureusement, tu me comprends toi » s’évite peut-être de tomber en dépression.

L’enfant en attachement profond à son chien voit en lui un frère, un ami et lui prête volontiers les sentiments qu’il éprouve lui-même. Ce faisant, il se construit et développe des qualités d’attention, d’observation et de protection.

Une frontière difficile à tracer

Il peut être difficile de déterminer ce qui relève de l’anthropomorphisme et ce qui n’en relève pas.

Tout au long de cet article, nous avons vu que certaines interprétations ou actes reflètent la réalité alors que d’autres ne sont que des projections humaines que nous faisons sur nos animaux.

Il y a des actes à pratiquer sur son chien qui sont les mêmes que celles que l’on ferait pour les humains. Lui donner à manger, le soigner, le sortir, jouer avec lui, le traiter contre les parasites…

Il y a des actes frontières qui peuvent être teintés d’anthropomorphisme ou non selon les dispositions du chien ou les circonstances : si mon chien vient quémander des caresses et que je m’exécute, je lui fais plaisir, point. Si systématiquement, je l’installe serré contre moi sur le canapé pour regarder le film du soir, on peut se demander si c’est la position qu’il prendrait spontanément s’il était libre…

Et enfin, il y a des actes qui relèvent complètement d’une projection humaine et nous en avons longuement parlé : tous ceux qui relèvent d’une interprétation rapide et erronée du comportement canin. Ce sont ceux-là les plus préoccupants car ils sont susceptibles d’aggraver la situation et de détériorer le lien entre l’animal et ses propriétaires.

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